Les souvenirs de la belle Fernande

Notre chère maman est décédée le 25 novembre 2024 à l’âge vénérable de cent ans. Elle a eu une mort douce et paisible, entourée de l’amour de ses enfants.

Tout au long de sa vie, elle aimait nous raconter ses souvenirs de famille, souvent très étonnants et anecdotiques pour nous.

Nous avons choisi de vous raconter sa vie pour que vous gardiez en mémoire qui était votre mamie ou votre mémé.

Elle était la fille d’Emma Couture et d’Alphonse Gilbert.

Fernande est née le 5 janvier 1924, au sein d’une grande famille, septième fille et onzième d’une fratrie de douze enfants vivants. Emma a eu 14 enfants en 18 ans de mariage.

Ses frères et sœurs avaient l’habitude de l’appeler la petite Hélène. C’était son deuxième prénom, hérité de sa marraine Hélène Cantin.

Née au cœur de l’hiver, elle a été baptisée à l’église de St-Augustin dès le lendemain. À l’époque, c’était très important, car en cas de mort subite, le bébé risquait de se retrouver dans les limbes. Alors, le 6 janvier, la petite Fernande, en pleine tempête de neige, emmitouflée dans des fourrures, s’est rendue à l’église en carriole au son des grelots. Paraît-il que l’équipage avait failli tomber dans le fossé.

Petite fille sage, choyée par les grands, Fernande a grandi sur la ferme familiale.

Il y avait de l’amour chez les Gibert mais aussi beaucoup de travail. Chacun et chacune devaient participer aux divers travaux des champs. L’été, c’était le sarclage des légumes au jardin, les foins à engranger, les fraises à cueillir pour vendre au marché de Québec ou sur le bord de la route 2 (aujourd’hui, la 138). À l’automne, il fallait récolter les légumes pour l’hiver et abattre le cochon. Maman se souvient qu’elle montait au fenil avec les autres enfants pour observer le vieux monsieur Xavier Desroches faire office de boucher. Cela devait être bien impressionnant! Emma, aidée de sa fille aînée Anne-Marie, confectionnait du boudin et des tourtières.

Malgré les nombreux travaux saisonniers, les petits Gilbert trouvaient quand même le temps de s’amuser avec peu de choses. Ils se fabriquaient des tacots avec de vieilles roues, jouaient des parties de balles avec les voisins de la famille Desroches ou observaient les hirondelles faire leur nid sur les parois de la grange. L’hiver, ils glissaient ou patinaient sur le ruisseau gelé. Au printemps, la cabane à sucre faisait la joie des petits et des grands. On se souvient que grand-papa Alphonse, et par la suite, mon oncle Fernand, faisaient de l’excellent sirop d’érable.

Les sorties étaient rares. Chez tante Victoria, qui habitait au lac St-Augustin, pour faire du canot et chez tante Albertine, à Neuville, pour un pique-nique. Les dimanches, c’était au tour de l’oncle docteur (Joseph) et de l’oncle Félix, frères d’Alphonse, de venir en visite. Le soir, on récitait le chapelet en famille et on écoutait les romans à la radio.

Fernande raconte en riant, qu’en guise de récompense pour tous leurs efforts pour les travaux de l’été, chaque enfant avait le droit de s’acheter un bon gros cornet de crème glacée, à cinq cennes, au magasin général. Lors d’une de ces mémorables sorties, Norbert, qui conduisait la voiture, avait échappé sa boule. Il s’est vite consolé car tous les enfants ont partagé une léchée de leur cornet avec lui.

Autre souvenir… Un soir d’été, peu après le souper, un homme à la peau noire a sauté du train qui passait sur la ferme pour demander l’hospitalité. On lui a offert le gîte et le couvert (du pain de ménage avec de la mélasse) que le pauvre homme a mangé en chantonnant. Les petits, alignés dans l’escalier, avaient de grands yeux ronds en regardant l’étrange personnage.

Elle se souvenait également du passage au-dessus du fleuve, en 1930, du fameux dirigeable anglais, le R-100, de même que de l’arrivée de l’automobile et de l’électricité.

Étant parmi les plus jeunes de la famille, maman a eu la chance d’aller à l’école plus longtemps que les autres. Elle aimait apprendre et se montrait bonne élève. Elle a terminé une dixième année et a été trois ans pensionnaire au couvent. Douée pour la musique, elle a eu la chance d’étudier le piano avec les religieuses. Elle chantait très bien et nous a appris plus tard les chansons de l’abbé Gadbois dans les cahiers de la Bonne chanson, populaires à l’époque.

Vers l’âge de vingt ans, elle a commencé à fréquenter son beau grand Lawrence, nouvellement installé sur la ferme en face de chez-elle. Ils se sont mariés le 6 juin 1946.

De cette union sont nés six enfants, trois filles puis trois garçons. Nos parents s’aimaient beaucoup, ils formaient un beau couple. Ils ont partagé 69 ans de mariage.

Bien sûr, elle a eu des épreuves dans sa vie, la plus grande étant sans aucun doute la perte de son fils Jean. Malgré sa peine, elle a su faire preuve d'une grande résilience et a surmonté ce deuil.  Elle nous a dit cependant qu'elle pensait encore à lui tous les jours. 

Souvent éloignés l’un de l’autre par la distance, maman aimait à penser qu’elle pouvait faire de la télépathie avec papa. Avait-elle reçu un don, étant la septième fille?

Au début de sa vie de femme mariée, maman vivait sur la ferme avec papa et leurs trois filles. Le travail ne manquait pas car papa devait engager des travailleurs étrangers pour le seconder. Il fallait prendre soin des enfants, nourrir et blanchir tout ce beau monde. Comme quoi le travail ne fait pas mourir… Mes parents ont vendu leur ferme en 1955 pour s’établir à Ste-Foy, près des écoles et de l’Université Laval. Par la suite sont nés les trois garçons.

Papa est devenu voyageur de commerce, son deuxième métier. Maman était souvent seule à la maison pour prendre soin de nous car papa partait le dimanche pour ne revenir que le vendredi. On a vite appris à faire nos mauvais coups en début de semaine. Maman, parfois à bout de patience, nous disait « attendez quand votre père va rentrer… » mais ce n’était que des menaces.

Fernande, notre mère, était affectueuse avec nous. Elle tenait à ce qu’on réussisse bien à l’école. Elle nous donnait des dictées et nous faisait réciter nos leçons à la table de la cuisine, au grand désespoir de mon frère Robert qui aurait préféré, de loin, aller jouer dehors. En revenant de l’école, ça sentait toujours bon à la maison, nous nous souvenons de ses bons repas et de ses desserts délicieux.

Grâce à ses talents de couturière, ses enfants étaient toujours bien habillés et faisaient sa fierté. Nous aimions chanter les airs à la mode en essuyant la vaisselle ou en berçant nos petits frères pour les endormir.

Nos amis étaient toujours les bienvenus à la maison. Le sous-sol et le garage ont hébergé bien des enfants les jours de pluie. Combien de parties de ballon-chasseur ont été jouées dans la cour? L’hiver, papa nous construisait une glissade en bois ou une patinoire pour qu’on puisse jouer au hockey. Hiver comme été, la cour était toujours pleine d’enfants.

Durant les vacances d’été, la famille faisait du bateau, du ski nautique, du camping et des voyages en Winnebago. Que de beaux souvenirs! Plus tard, maman et papa ont eu la chance de faire de beaux voyages, de jouer au golf, de faire du ski de fond.

Mes parents ont toujours voulu souligner les fêtes en famille. Fernande savait garnir sa table de bons rôtis, de tartes et de pâtés faits maison.

Après le départ des enfants, maman n’est pas restée inactive. Elle s’est inscrite à des activités d’artisanat. Ses belles nappes tissées qu’elle nous offrait comme cadeau de Noël sont encore magnifiques et quasi inusables.

Maman pendant plusieurs années s'est aussi passionnée pour la généalogie. Initiée et aidée de Robert, Fernande a fait sa généalogie ascendante complète, puis celle des Paradis, puis celles de la parenté. Même les voisins et amis ont eu droit à leur arbre. Elle aimait bien prendre sa marche jusqu’aux Archives Nationales, au Grand Séminaire de l’Université Laval et faire ses recherches dans tous ces bouquins. Elle a même visité, lors d’un de ses voyages en France, Aulnay de Saintonge, le petit village d’origine de son ancêtre Étienne Gilbert.

À son décès, elle avait 7 petits-enfants et 15 arrière-petits-enfants. Elle s’informait de chacun et chacune, de leur vie, de leurs activités. Tous l’appelaient affectueusement mémé.

Maman a hérité d’une bonne santé, tout comme ses frères et sœurs qui ont vécu jusqu’à un âge avancé.

Après la mort de papa en 2015, elle passait le temps en prenant de grandes marches, en faisant des casse-têtes de 1000 morceaux et le grand mots-croisés du samedi dans Le Soleil. Elle aimait beaucoup lire des romans et comme elle avait lu presque tous les livres écrits en gros caractères à la bibliothèque, elle s’est convertie à la lecture de livres numériques sur une tablette. Pas mal pour une petite fille qui a commencé sa vie dans une maison sans électricité.

Les trois dernières années de sa longue vie, étant donné sa perte d’autonomie, elle a habité dans deux résidences pour aînés.

Nous la visitions chaque jour à tour de rôle, mais c’était une plus grande joie pour elle lorsqu’elle recevait la visite de ses petits-enfants, de ses arrières petits-enfants ou de ses neveux et nièces.

Notre mère pensait que sa vie ne valait pas la peine d’être racontée, nous croyons, au contraire, que c’est dans tous les gestes d’un quotidien ordinaire que se cachait une femme extraordinaire.

Ses enfants, Lorraine, Louise, Liliane, Robert et Pierre